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Poupée Bella par Nina Bouraoui - Le Livre de Poche

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PoupeebellPrésentation de l'éditeur : Fin des années 1980. Le Katmandou, le Studio A, le Scorpion sont quelques-uns des hauts lieux de la vie nocturne et du " Milieu des Filles ". C'est là qu'évolue nuit après nuit la narratrice de ce journal recomposé. Des regards. Des séductions fugaces. Julien, l'ami homosexuel, le complice. Le souvenir de Marion, son premier amour d'adolescente, que des liaisons éphémères ne parviennent pas à lui faire oublier... Un désir d'être qui ne pourra s'accomplir, elle le sait, que dans l'écriture et dans l'amour. Après Garçon manqué et La Vie heureuse, Nina Bouraoui poursuit ici une quête d'identité qui va bien au-delà d'une orientation sexuelle assumée. " Il n'y a pas de malheur homosexuel, dit-elle, il y a un malheur amoureux. "

 

Extrait

Paris 30 octobre 1987 - Je veux une arme pour me défendre, je veux le plus beau corps de la terre, je veux que le ciel de la nuit me protège, j’ai de la folie dans la tête, j’ai de l’or entre les mains, je suis une femme, je suis un homme, je suis tout, je ne suis rien, je déteste les filles qui font trop filles, je n’ai rien d’une fille normale, je perds ma voix, je gagne un cœur, je bois une bière glacée, je danse seule devant le miroir de la chambre, je n’ai rien de silencieux en moi, tout bouge, tout crie, tout se déplace, je quitte la vraie vie, je suis un secret, avant, j’entendais : Elle a un drôle de visage, elle a un regard qui dérange, elle n’est pas douce, elle a l’odeur d’un garçon, elle s’habille n’importe comment, elle a une beauté spéciale, on ne sait pas ce qu’elle deviendra ; je sais nager, je sais écrire, je saurai aimer. Le jardin du Luxembourg est fermé, j’entends le bruit des feuilles, j’entends le bruit du vent dans les arbres, j’entends la ville et je ne suis plus dans la ville, il n’y a que mon corps, il n’y a que mon désir, je suis la Missy de Colette, je suis la Thérèse de Carol, je suis si petite, je suis immense dans la nuit, je sais et je ne sais pas, je peux et je ne peux pas, j’entre avant minuit au Katmandou, club féminin, j’entre sous la terre, j’entre dans mon corps, la nuit est un brasier. C’est l’odeur, d’abord, l’odeur des corps, je marche, je suis immobile, je cherche quelqu’un, je cherche une fille, c’est une terre étrangère, ici, c’est la voix d’une femme – 80 francs, la boisson est comprise –, ce sont les yeux, ce sont les mains, les petites marches à monter, c’est un spectacle, c’est le Milieu des Filles, je suis dans la forêt, je suis dans les sables, avant je n’avais peur de rien, avant je prenais des trains dans la nuit, je suis dans ma demeure, c’est le Katmandou, ce n’est pas Bilitis, ce n’est pas Patricia Highsmith, je ne sais pas si je dois danser, je ne sais pas si je dois boire, je ne sais pas si je peux fumer, je ne veux plus rentrer chez moi, je veux savoir, combien je vaux, combien je peux espérer de ce corps là, j’ai peur des femmes, je ne sais plus danser, il y a cette chanson de Stephan Eicher, Combien de temps, et à moi, combien faudra-t-il de temps pour trouver, pour être choisie ? Je pourrais embrasser n’importe qui. Je veux juste une voix qui répétera mon prénom.

Combien de temps faudra-t-il pour trouver ? Pour devenir ce que je suis ? Combien de temps pour avoir mes habitudes au Katmandou? Combien de temps pour trouver ma place, ma table, mon siège? Combien de temps pour danser? Je cherche, comme cherchent les hommes. Chez les filles il y a encore des slows. Chez les filles il y a encore la boule qui tourne au-dessus de la piste. Chez les filles, on entend : Je peux vous inviter ? Je n’ai plus de visage, je peux tout perdre ici. Ce que je suis. Ce que j’étais. Je deviens une professionnelle. Je suis la proie. Je suis l’appât. Bientôt, moi aussi j’attendrai à une table. Je regarderai. Ici, on vieillit si vite. Seule compte la première fois. Je sais qu’on me regarde. Ce n’est pas pour ce que je suis. C’est juste parce qu’on ne m’a jamais vue. C’est un petit milieu. C’est un petit salon. C’est le deuxième monde. Je ne connais pas ces visages. Vous habitez Paris ? Vous avez quel âge ? Vous êtes venue seule ? Je veux rentrer avec quelqu’un. Je ne suis rien. Je suis tout. Je ne sais pas faire. Je me sens malade. Je me sens en vie. Ce n’est plus ma jeunesse. Je veux bien changer de vie. Je veux bien changer d’adresse. Je veux bien changer de nom. Je suis là. Regardez-moi.


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