Romance M/M Fantastique autoéditée, sortie en Octobre 2014.
Christelle Verhoest reprend les thèmes de prédilection de la plupart de ses oeuvres que sont l'intolérance, l'homosexualité dans les sociétés, les souffrances intimes des individus comme leur volonté d'en surmonter les tourments, dans ce roman dont le genre
Fantastique élargit certes les possibilités narratives, mais réhausse surtout de nuances métaphoriques les décors, les scènes et les personnages. La région
Bretagne à laquelle l'auteure voue une affection certaine, sert de cadre autant sauvage que majestueux à la romance interdite entre
Daniel, un homme ordinaire et
Sveinn,
Cycnos pourchassé par les siens, et à leur quête désespérée du peuple des
Cygnes Noirs susceptibles de les accueillir et de les protéger.
Le personnage de
Daniel - s'exprimant à la première personne tout le long du récit - est un modeste employé comptable de vingt-cinq ans qui s'est habitué à s'effacer et à subir sans réagir, notamment les propos homophobes de sa famille lors des repas dominicaux qu'il ne se décide pas à manquer. L'intrigue s'abat dès le premier chapitre du roman en une masse duveteuse et blanche qui pulvérise littéralement le pare-brise de sa voiture et le cours de son existence ; les plumes immaculées disparaissant au contact du sol dévoilent un être d'apparence humaine, manifestement mâle, dont la nature étrange et l'inconscience tenace poussent le conducteur à le ramener en sécurité chez lui. L'inconnu une fois éveillé se présente sous le nom de
Sveinn et révèle appartenir au peuple des
Cycnos, communauté de cygnes métamorphes dont il fuit l'oppression pour avoir aimé un autre mâle de la famille royale. En attendant qu'il se remette de son épuisement,
Sveinn et son hôte apprennent à se connaître et échangent sur leurs existences respectives, partageant leurs sensibilités et leurs peines ; la mélancolie de
Daniel disparaît, remplacée par un enthousiasme énergique à subvenir aux besoins et au bien-être du
Cycnos, le jeune homme conscient que ce dernier devra reprendre son périple et résigné comme à son habitude, à retourner bientôt à sa solitude... Mais l'attirance sensuelle qu'il éprouve envers
Sveinn s'avère mutuelle et le décide à abandonner son existence terne et esseulée pour suivre son nouvel amant dans sa fuite menacée par les
Cycnos implacables, à la recherche des
Cygnes Noirs dont ils ignorent néanmoins tout.
A la façon des loups-garous plus populaires du genre littéraire, les cygnes métamorphes de l'auteure normande peuvent adopter forme humaine et vivre parmi les Hommes, ignorés mais parfaitement intégrés. Le thème des apparences sur lequel reposent premières impressions et bêtes préjugés, s'applique dès le début du roman sur le peuple des
Cycnos : incarnations du symbole celte du somptueux oiseau au plumage immaculé, messager de l'
Autre Monde figurant sur les blasons des Seigneurs de Bretagne, ses membres se révèlent aussi magnifiques par leur beauté diaphane qu'impitoyables par la barbarie de leurs lois sociales. Les autres communautés croisées au cours du périple de
Daniel et
Sveinn, orgueilleuses ou nostalgiques de leurs légendes originelles, donneront à ceux-ci davantage à considérer, alors qu'ils ne savent encore qu'attendre des mystérieux
Cygnes Noirs. Alors que le propre frère de
Sveinn compte parmi ceux qui le pourchassent sans répit, le couple
Ragn et
Suna, solitaires et rudes, accueille les deux amants par mépris pour les manoeuvres fourbes de leurs oppresseurs, mais achève de guérir les blessures de
Sveinn et apprend surtout au jeune humain le tir à l'arc, afin qu'ils puissent se défendre en plein vol ; le roi
Egan des
Cygnes Sauvages quant à lui les capture dans le but d'en imposer aux
Cycnos et exécute le jeune
Orlin malade que
Daniel et
Sveinn avaient pris en amitié... tandis que les adeptes pacifiques du
Temple de Zeus et Leda reçoivent et entretiennent volontiers de leur sagesse les amants menacés, mais se maintiennent à l'écart de tout conflit direct. Certains individus peuvent encore faire exception au sein des groupes, comme le prouve l'émasculation incomplète de
Sveinn et le reniement d'
Egan par des
Cygnes Sauvages quittant son île.
La personnalité ferme de
Sveinn s'oppose aux règles répressives envers l'homosexualité en partageant ses sentiments avec
Artemy, au risque de subir les trente coups de fouet assortis de la castration établis comme sanction. Y survivant et réussissant à quitter sa geôle, il pousse le fameux
Chant mortuaire du Cygne en constatant le suicide de son âme-soeur avant de s'enfuir pour les zones urbaines humaines, ses semblables à ses trousses. Sa rencontre avec
Daniel bouleverse d'autant sa fuite désespérée que ses sentiments évoluant pour ce dernier, plus forts encore que ceux pour
Artemy, le font renoncer à son désir froid de vengeance vis-à-vis des
Cycnos et préférer vivre libre et heureux sa nouvelle romance naissante, quitte à se battre pour y parvenir ; et cette détermination renforcera le caractère de son partenaire pour davantage de confiance en lui-même face aux menaces extérieures comme à ses propres doutes, qui ne manqueront pas de défier ses résolutions. La disparition de
Sveinn plongera
Daniel dans un désespoir profond, le faisant hurler à son tour à la façon du
Chant mortuaire du Cygne au coeur du champ de bataille, puis chercher à oublier sa peine en s'infligeant l'émasculation des Prêtres d'
Anatas, qui le rapprocherait en quelque sorte de son amour perdu... L'attention sincère, voire les propos directs de ses amis rencontrés au cours de son périple avec
Sveinn lui rappelleront la ténacité et le courage de ce dernier, lui souriant tendrement même face à l'imminence de son exécution, qu'il se décidera alors à honorer en continuant à vivre comme il l'entend.
L'auteure a détourné d'anciennes références littéraires pour porter la quête de ses amants interdits, survolant le conte danois d'
Andersen et le mythe antique de
Phaéton en frôlant la légende médiévale du
Chevalier au Cygne, tout en portant eux-mêmes des noms symboliques :
Sveinn est un prénom en la blanche et sauvage Islande, tandis que
Diane est la déesse à l'arc chasseresse romaine... dont l'assimilation grecque est
Artémis. On peut reconnaître à la fois un parallèle et une continuité de la romance de
Sveinn avec
Artemy, puis
Daniel à celle de
Daniel avec
Sveinn, puis
Kern, par lesquelles un amour perdu revit auprès d'un autre, jusqu'à la consécration idyllique de leur sincérité par la naissance d'un enfant. Ces métaphores et allusions poétiques renforcées de descriptions visuelles et sensorielles - comme celle des landes en bord de mer au crépuscule tout en couleurs, à dos de cygne soyeux, chaud et virevoltant au-dessus des éléments marins - mettent en scène les aventures des deux protagonistes et de leur entourage à la façon des antiques légendes jouées autrefois dans les théâtres athéniens, jonglant avec tragédie, héroïsme et espoir.
Plus personnellement, j'avais abordé les premiers chapitres comme ceux d'un roman
Fantasy, avant que ne débute et ne me ramène à une lecture moins fantaisiste l'odyssée dramatique des deux amants. Les différentes communautés métamorphes abordées ne dissimulent guère longtemps le sens de leurs lois et de leurs actes, sur lesquels reposent de la même manière celles de sociétés humaines existantes ; le défi littéraire que s'est fixé
Christelle Verhoest pour ce roman comme pour les précédents, est donc accompli... sans pour autant négliger la portée romantique des amours châtiés, ni le parcours initiatique du personnage principal qui apprend à lutter, de bien des façons, pour vivre vraiment.
Chronique sur le blog
Psyche Tremens >
furiae.eklablog.com/blanc-comme-cygne-de...lle-verhoest-a864917